Perceval le Gallois : Le Moyen Âge a inspiré à Rohmer son film le plus distrayant
France Soir (14 février 1979)
Metteur en scène méticuleux, érudit, inspiré, Eric Rohmer ne ressemble pas à l'idée
que l'on pourrait se faire de lui à travers ses films. Le réalisateur de
« Perceval le Gallois », qui sort le 7 février, et qui est directement inspiré du
roman courtois de Chrétien de Troyes, est un homme qui parle avec une volubilité
passionnée.
« Au Moyen Age, dit-il en riant, on m'aurait considéré comme un « vilain ».
Les gens nobles allaient à cheval et ne couraient jamais. » Ce vilain a fait
un bien beau film. Comme nul ne l'ignore « Perceval le Gallois » a pris un an
de préparation et de répétitions. Quand ils arrivèrent dans les décors, irréalistes,
dorés et bleus comme des miniatures du Moyen Age, les comédiens savaient par coeur
leur texte en vers.
« Mais ce n'est pas un film didactique ou ennuyeux. Je crois même que c'est
beaucoup plus distrayant et beaucoup plus moderne que la plupart des films actuels.
Le Moyen Age n'était pas ce qu'on croyait. Le roman de Chrétien de Troyes aurait
pu avoir été écrit aujourd'hui. C'est palpitant, plein de rebondissements.
C'est le temps de l'amour courtois ».
Rester fidèle à l'époque
A propos d'amour courtois, et sans vouloir être vulgaire, Perceval et les autres
chevaliers pratiquaient-ils l'amour physique ?
Devant cette question, le discret Rohmer déploie un nuage de fumée qui pourant
laisse transparaître une érotique ambiguïté.
« On n'a jamais su si les chevaliers du Moyen Age, décrits par Chrétien de Troyes
dans son roman avaient des relations platoniques ou physiques. Je n'ai pas tranché,
voulant rester fidèle à l'époque. Quand Perceval (joué par Fabrice Luchini) passe
la nuit dans le même lit que Blanche-Fleur, on ne voit rien, mais on peut tout
imaginer. Dans un autre style, c'est la même chose que dans les films américains
des années trente. On ne savait jamais très bien ».
C'est cette ambiguïté qui relie « Perceval » aux six conte moraux que fit précédemment
Rohmer. Dans « Ma nuit chez Maud », comme dans « La collectionneuse » ou « Le genou
de Claire », les héros balancent ainsi que Perceval, entre le bien et le mal.
« C'est très difficile de délimiter la frontière entre ce qui est bien et ce qui
est mal. Quelquefois, comme Perceval, on se trompe en croyant être dans le
droit chemin. »
En tout cas, Perceval, Claire, Maud, ou la Marquise d'O, les héros de Rohmer
ne sont jamais noirs. Le « vilain » qui court dans la rue Mouffetard n'a jamais fait
un film sur des gens qui se détruisent, au contraire ses personnages sont sur
la voie du progrès. Car ce Rohmer-là a autant de santé physique et morale
que « Perceval le Gallois ».
Source : Microfiches B.N.F.