Barbara : "Avec la tête que j'ai, personne ne me proposait de rôle au cinéma"
France Soir (28 janvier 1972)
Au début de l'année dernière, Jacques Brel téléphone à Barbara : « Viens déjeuner ». Elle y alla tout de suite car elle fait toujours tout ce qu'il lui dit. En plein repas, en la regardant dans les yeux, Brel déclara : « On va faire un film ensemble. Je le mettrai en scène et je le jouerai avec toi. »
Et Barbara, la frémissante Barbara aux humeurs imprévisibles accepta tout de suite de devenir pour Brel vedette de cinéma (Franz va sortir à Paris le 2 février). « Avec lui j'irais au bout du monde. Je lui fais confiance. Je me suis remise entièrement dans ses mains. Je n'étais plus la longue Dame brune de ma chanson, j'obéissais ». De la tête aux pieds, Barbara fut ainsi pendant les deux mois de prises de vues de Léonie la solitaire. « Je ne pensais à rien d'autre qu'à bien sur me mettre dans le champ de la caméra. Des amis me disaient « Et alors, gna-gna-gna et la chanson ? » Ils n'avaient pas compris que le chanson n'existait plus pour moi. Je n'étais qu'une pâte à modeler entre les mains de Brel ».
Une pâte à modeler qui eut tout de même bien des problèmes. Car Barbara ce grand oiseau noir qui depuis vingt ans prenait son envol toute seule sur les scènes des salles de spectacles était aussi embarrassée qu'un albatros aux ailes coupées devant la technique du cinéma. « Je n'ai jamais compris ce qu'était un zoom. Quand on me disait « Attention, on te zoom » ça me donnait envie de rire ». Très sérieuse, soudain, sous sa haute toque de fourrure noire « Je veux apprendre la technique du cinéma. Je veux savoir ce qu'est un zoom ».
En dehors des pièges de la technique, Barbara a été très heureuse pendant les deux mois au bord des belles plages blondes. « J'aime le froid, j'aime le vent, la mer, les dunes. C'étaient mes premières vacances pour moi qui ne sais pas en prendre. Et c'était tellement beau de regarder Brel diriger son premier film en Belgique, un pays qu'il connaît si bien ».
Elle se penche, les yeux brillants. « Car tu comprends, ce film je l'aime. Même si il n'y a pas un seul spectateur dans les salles, ça ne change rien. Franz a été une de mes plus belles aventures. Et Brel a été très courageux de m'ouvrir le premier les portes du cinéma. Eh oui, avec la tête que j'ai personne d'autre ne m'aurait proposé un rôle dans un film ».
Mais le cinéma n'a pas fait oublier à Barbara son premier amour, la chanson. Son nouveau disque va sortir ces jours ci et elle vient de composer la chanson du film de Brialy « La maison d'Églantine ». « Mais je persiste à dire ce que j'ai déclaré sur la scène de l'Olympia en février 1969. Je ne veux plus passer sur la scène d'un music-hall, je ne veux pas être prisonnière d'un système. Car tu comprends... » Elle se penche encore et ressemble de plus en plus à un oiseau, un drôle d'oiseau qui peut être chaleureux ou glacial. « Tu comprends, il faut savoir se faire rare. avec mon public qui est toujours mon amant le plus étonnant, je veux préserver le désir. Comme lors qu'on aime il ne faut pas se voir trop souvent ».
Pour préserver le désir, pour préserver l'amour, cet étonnant courant qui passe entre elle et le public. Barbara ne chante plus maintenant que dans des endroits où elle n'a encore jamais chanté. « Parce que, tu comprends, on me dit : gna-gna-gna. Pourquoi ne chantes tu plus à Paris dans un des deux music-halls ? Mais moi je sais que dans la vie, l'amour est la seule religion à avoir. Il faut prendre le voile mais sans faire de théâtre, franchement jusqu'au bout ».