Accueil          Critiques          Photos          Autres infos          Contact

Coluche : Pour cacher son coeur, il étalait son humour acide

France Soir (20 juin 1986)

Michel Colucci dit Coluche s'abritait derrière un étendard. Il étalait son insolence, son agressivité, son décapant humour pour cacher son coeur. Comme s'il en avait eu honte. Il était tendre et sensible.
Sa maison sur le parc Montsouris était pleine d'amis. Il se baladait parmi ses copains et ses flippers (il en avait un grand assortiment) et disait toujours quelque chose de drôle. Quelquefois son sens de l'humour vous cueillait en plein estomac.
Il rigolait, vous tendait un verre et vous montrait que vraiment il vous aimait bien. Parce que ça se sentait tout de suite qu'il aimait quelqu'un.
Vu la place où il s'était hissé à force de sketches, à force d'histoires, il en avait « rien à cirer » (comme il disait) des enquiquineurs, (neuses). S'il vous donnait son amitié, c'est que vous la méritiez et ça vous faisait plus plaisir qu'une Légion d'honneur. Ce type était toujours sincère, c'est peut-être sa première qualité.
Dans le cinéma, après son rôle formidable dans « Tchao Pantin » de Claude Berri, il s'était planté en ne jouant plus que des films médiocres. Il disait en rigolant : « Ils sont dingues dans le cinéma, ils me payent des fortunes à ne rien faire. Je suis là, j'attends comme un con pendant des heures qu'on me dise : « Venez, on a besoin de vous sur le plateau ». Alors, j'arrive, peinard et pas fatigué. Pour ce boulot, on me donne cinq briques par film. » Plus sérieusement, il précisait : « Le problème, c'est qu'ils ne se donnent pas assez de mal pour écrire leurs histoires ».

Débuts au café théâtre

Avec un peu de chance, il nous aurait écrit une histoire lui-même pour faire un film et ç'aurait été très réjouissant. Il y avait eu un projet avec Josiane Balasko.
Un jour, je me souviens, il était venu chez moi, dans le XIVe justement. C'était là qu'il avait fait ses débuts au café-théâtre de la Veuve Pichard. Alors ce quartier, ça lui faisait toujours chaud au coeur. Ensemble on alla voir le bijoutier de la rue d'Odessa. Il lui serra la main, dit bonjour aux employés dans l'atelier. Puis dans un grand élan, on partit pour l'école communale où il avait essayé de s'instruire.
Le soir où il gagna son césar pour « Tchao pantin », il fit une fête chez lui, préférant être avec ses copains que dîner comme les autres invités au « Fouquet's ». C'était gai, c'était chaud, on était tous contents. Il y avait du beau monde, comme Polanski et des jolies filles. Il y avait aussi dans le sous-sol de sa maison une piscine où plus d'un faillit tomber cette nuit-là.

Le sens de la fête, il l'avait en lui. Ne faut-il pas l'avoir pour monter les marches du Palais du Festival de Cannes déguisé en femme, comme il le fit en mai dernier ? Il se moquait de son physique comme du qu'en-dira-t-on. Il piétinait le bon ton. C'était l'anarchiste des bonnes manières. Si par hasard il allait au théâtre et qu'il s'embêtait, il le disait tout haut. C'est sûr que ça ne faisait pas plaisir à tout le monde.

Idées géniales

Mais « tout le monde » ça ne l'intéressait pas Coluche. Les gens qu'il aimait, c'était en somme les gens qui avaient besoin de lui. Il y en avait beaucoup. Avec ses « restaurants du coeur » l'hiver dernier, il fit un malheur. Il avait des idées géniales constamment. Et pas des idées égoïstes et riquiquis. Des idées ouvertes sur le monde et sur les autres. De lui, il disait « Ça fait rien que je sois gros, les filles, elles aiment qu'on les fasse rire ».

Grossier mais pas vulgaire

Une femme tenait une grande place dans sa vie. C'était sa mère pour laquelle il fut très généreux. Bien des gens qui, au nom du bon ton critiquaient Coluche, auraient pu prendre exemple sur lui. Il aimait aussi dire « Je suis un émigré, moi, un bougnoule », appuyant sur son nom Colucci et comme d'habitude avec lui, exagérant, forçant la note pour mieux mettre en plein dans le mille. Quand on l'écoutait à la radio, on savait qu'il s'amusait autant qu'il nous amusait.
D'une manière radicale, il avait fait la différence entre la grossièreté et la vulgarité. Il était grossier souvent, vulgaire jamais. Et tous les acteurs, toutes les actrices qui ont joué avec lui, m'ont toujours dit : « Il m'a aidé ». C'était une manie chez lui d'aider les autres. On ne pouvait rien prévoir avec lui. Il avait choisi d'être ce qu'on appelle un comique. On peut rêver. Peut-être que sa mort est une blague, peut-être qu'il n'est pas mort, qu'on va l'entendre. « Tiens, tu es encore là ma poule, mais où as-tu trouvé cette robe ? Dans une poubelle. »
Car la mort de Coluche est impossible à supporter. C'est si rare les gens qui ont à la fois le sens du rire et le coeur sur la main. La formule chez lui était réelle. Il dépendait un argent fou pour ses copains qui campaient dans sa maison. On avait l'impression qu'il ne pouvait pas supporter d'être seul, ne fut-ce qu'un instant.
Vivant ou mort, il n'a pas de souci à se faire, on sera toujours avec lui au moins par la pensée, en se rappelant un petit détail, une réflexion, une histoire salée. Parce qu'un homme comme Coluche, c'est pas demain la veille qu'on en trouvera un autre.

Source : B.N.F.
Nécrologie de Coluche